Le Moulin Guibreteau

Une longue rue porte le nom du « Moulin Guibreteau » entre la Mirette et le Chatellier, dans le quartier de Ragon. D’où vient ce nom ? Le cadastre de 1826 laisse un grand blanc dans ce secteur : des landes. Elles courent depuis La Houssais, le Chêne Creux, les Naudières et le Chatellier, et permettent aux petits paysans de laisser paitre leur unique vache. Les moulins sont nombreux, 30 à Rezé en 1702, à l’est du bourg et au nombre de 7 aux 3 moulins; mais, là autour du Chatellier, il n’y a que le moulin des Barres et le moulin de la Lande, non loin de la Nationale.

Aucun chemin ne relie la Mirette à La Carrée en 1826 ; rien non plus entre la Mirette et le Chatellier. Les charrettes et tombereaux passent entre les champs et y laissent des ornières. A pieds, il faut éviter les fondrières pleine d’eau.

Jean Guiberteau et Jeanne Treilhaud achètent le moulin de la Lande du Chatellier en 1885

Le 6 mars 1885, Jean Guiberteau meunier demeurant au Chêne Creux et son épouse Jeanne Treillaud se rendent chez Maitre Chauveau notaire à Pont Rousseau pour acheter le moulin de la Lande du Chatellier. Ils achètent un moulin à vent avec son cerne, ses tournants et ses virants (dégarnis de toiles) et de tout ce qui peut servir à son exploitation. Dans le moulin sont installés une bluterie (pour séparer la farine du son) et un nettoyage. Ils achètent aussi un corps de logements composé de 4 chambres basses, un toit à porc et 2 hangars, et un jardin dans lequel se trouve un puits. Le tout est d’un seul tenant d’une superficie de 11 ares environ. Monsieur et Madame Guiberteau le paie 2 000 francs comptants, le jour même.

Le vendeur est Monsieur Jouet, célibataire, propriétaire, demeurant 13 chaussée de la Madeleine, cour Douard. Etant atteint de cécité, il a mandaté un clerc de notaire Athanase Litou pour le représenter. Monsieur Jouet a acheté ce bien 2 000 francs le 5 février 1882 aux héritiers du meunier Jacques Albert, décédé le 9 août 1878 : sa veuve Jeanne Victoire Cormerais et ses 4 enfants. M Jouet ne l’a gardé que 3 ans et le revend au même prix; il a fait fonctionner ce moulin par une tierce personne, ou l’un des enfants. Les enfants sont Jeanne Albert épouse Pierre Guillet, journalier au Chatellier; Marie Albert épouse Pierre Leclerc, jardinier à Petite Lande; Joseph Albert, meunier à la Petite Lande; Rose Albert épouse Jean Marie Greslan, mouleur au Port Communeau et Jacques Albert meunier en ce moulin.

Jacques Albert et son épouse ont acquis ce moulin le 28 février 1856 à Julien Lambert meunier en ce moulin et à son épouse Jeanne Bonnet pour la somme de 5 000 francs payés à terme. Jacques Albert l’a fait fonctionner 22 ans, et ses fils ont continué. Pourquoi est-il moins cher? Y a t il des dettes? Les bâtiments sont-ils en état? La clientèle est-elle là? Les moulins actionnés par la vapeur les concurrencent à partir de 1850. Personne ne retient le nom d’Albert; par contre, la rue actuelle de la Mirette est dénommée chemin du moulin Lambert en 1934, le chemin pour accéder à ce moulin.

Jean Guiberteau et son fils Fernand font tourner le moulin jusqu’en 1913

Avec les recensements, suivons l’évolution de la famille Jean Guiberteau et Marie Anne Treilhaud. Ils sont nés tous les deux à La Chevrolière en 1851 et 1856. Ils ont la jouissance du moulin à partir du jour de la signature de l’acte en mars 1885. Mais, un fils Jules Fernand nait en août 1885 au Chêne Creux. Ils y sont encore au recensement de 1886, lui meunier, avec sa femme « Jeanne », sa fille Marie de 10 ans, son fils de 9 mois et un domestique Pierre Guillaud. Ils vont s’installer au moulin de la Lande du Chatellier.

En 1891, vivent avec eux, un frère Alfred Bodin, meunier de 48 ans et un domestique, meunier de 52 ans. Le moulin tourne bien pour employer tout ce monde. En 1896, la fille Marie est tailleuse ; le fils Fernand a 10 ans et le couple a 2 garçons employés. En 1901, Jean Guiberteau est meunier à 50 ans avec sa femme et son fils, sans domestique. Cette année là, le moulin est transformé. En 1906, il est minotier, son fils est meunier et ils ont un ouvrier meunier qu’ils hébergent. Le fils Jules Fernand « Guibreteau » part au service militaire en octobre 1906 au 65ème régiment d’infanterie, à Nantes, jusqu’au 25 décembre 1908. En 1911, père et fils sont minotiers et ce dernier est marié avec Marie Ernestine Lefeuvre : ils ont une fille Lucienne, née en 1910.

D’après Yann Vince, le moulin cesse son activité en 1913. Pendant près de 30 ans, le moulin Guiberteau moud de la farine pour les boulangers nantais ou pour les besoins domestiques des paysans voisins.

Nous ne connaissons plus très bien le fonctionnement. Qui apporte le blé à moudre? Le propriétaire de la métairie, le paysan fermier, le boulanger? Les meuniers n’ont pas bonne réputation car « ils nous roulent dans la farine ». Je ne retrouve pas la quantité que j’ai apporté! Mon blé était de meilleure qualité! Que vend le meunier? Au XIXème siècle, y a t il des fours à pain dans les villages des Chapelles ou du Chêne Creux? La famille Redor a identifié la présence d’un four à pain sur le cadastre, près du Chatellier. Nous n’en voyons plus, alors que aujourd’hui, nous pouvons repérer pressoir et cellier. Où sont les boulangers? A la ville, à Pont Rousseau bien sûr; mais là vers Ragon? Des boulangers ambulants? D’autres céréales sont-elles moulues? Où sont les moulins actionnés par la vapeur, puis par l’électricité?

Jules Fernand Guibreteau est appelé au front en août 1914 ; il est incorporé successivement dans des régiments d’infanterie puis d’artillerie. Ni blessure, ni citation. Il obtient un sursis d’appel pour participer aux battages à Pont Saint Martin entre le 3 août 1915 et le 15 septembre. L’armistice ne signifie pas, le retour à la maison. L’armée l’affecte à la compagnie de chemin de fer de Mézidon du 15 juillet au 5 décembre 1919, avant de rentrer à Ragon.

Les Guibreteau sont épiciers à Ragon, sur la Nationale.

Après le café à Arthur Dugast, les épiceries

En 1921, Jean et Jeanne « Guibreteau » sont épiciers. Dans le logement voisin, Fernand est chauffeur chez Reffé et sa femme est épicière; une deuxième fille Renée arrive en mars. Mais Jeanne décède 6 mois plus tard, et Jean la suit en 1923. En 1926, le fils Fernand est chauffeur d’autos et Marie Lefeuvre est épicière avec leurs 2 filles. Pas de changement en 1931; Fernand travaille chez Cémoi. La fille ainée Lucienne décède de maladie en 1934. La benjamine Renée est fille unique maintenant et dite couturière en 1936 quand son père est chauffeur dans une entreprise d’import de charbon. Marie Lefeuvre-Guibreteau n’est plus épicière, remplacée par Victoire Hervé, au 56 rue Ernest Sauvestre.

Le moulin est loué depuis la fin de la guerre en 1920. Il subit un incendie en 1930.

1934 La rue du Moulin Lambert et l’amorce de la rue du Moulin Guibreteau
Au 85 un garage a pris la place du moulin ; à gauche la remise à grains et farine
Au 87, la maison de 4 chambres agrandie.

Sur le plan communal de 1934, la future rue de la Mirette est encore dénommée rue du Moulin Lambert, du nom du meunier d’avant 1856. L’accès au moulin de la Lande du Chatellier est dénommé rue du Moulin Guibreteau. Elle se prolonge à l’état de chemin carrossable avec des fossés et des grandes haies épineuses. A partir du Chatellier, une voie existe jusqu’à la rue Hugo, avec des maisons très anciennes. Avant guerre, les voitures sont peu nombreuses; les vélos et charrettes sont tranquilles. Les enfants qui viennent à l’école de Ragon, depuis Le Chatellier ou La Coran doivent traverser les champs par les chemins. Madeleine Redor-Ollivier, qui résidait près du Chatelier, se souvient que la rue a un revêtement quand son père René Redor est au conseil municipal en 1947. Les trottoirs n’apparaissent que dans les années 1970 pour desservir les lotissements de la Bataillerie et des Bertineries.

Renée Guibreteau se marie avec Jean-Marie Orseau en juin 1944. Son père Fernand Guibreteau décède en 1948 et sa mère Marie Ernestine Lefeuvre en 1954.

Voir dans la photothèque / quartiers / Ragon / Chatellier, Barres, Coran, Gabardière, Aufrère

Merci à Lucette Orseau-Lecoq d’avoir retrouvé l’acte d’acquisition de son arrière-grand-père Jean Guiberteau et à son époux Michel Lecoq qui m’a guidé sur les lieux.

Voir Rezé Magazine n°20 de mai, juin 1988: comment c’était les moulins avant?.
Bulletin des Amis de Rezé n°33 de septembre 2000: moulins et meuniers rezéens par Yann Vince.
Rezé mensuel n°161 de septembre 2021: Rezé, ville aux 30 moulins.

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